mardi 3 novembre 2009

Comédie musicale

Mon cher G.,
Il est dit que nous allons travailler ensemble sur un projet de comédie musicale avec quelques "acteurs" du 13ème arrondissement de Paris. Il est dit aussi que ce projet nous allons le réaliser en plusieurs étapes pour au final en faire émerger un film, un vrai petit film musical. A ce sujet, ne serait-ce pas plus juste de parler de film musical plus que de comédie musicale, cette dernière mettant quand même le principe chorégraphique au premier plan. On pourrait alors dire qu'on va réaliser un film d'action musicale (note que j'accorde musicale à action ce qui dit bien que ce n'est pas un film d'action genre transporter mais un film où des actions s'effectueraient dans le paysage et où ces actions seraient musicales disons chantées). Donc on pourrait dire qu'on réalise des actions chantées filmées. Donc on pourrait dire qu'on cherche à produire des actions qui transforment, colonisent, activent ou redessinent le paysage (géographique du 13ème arrondissement + intime des individus avec lesquels on va travailler). En conclusion (très hâtive) on pourrait dire qu'on va tenter d'écrire une fiction (entendons par fiction un principe de prise du réel)dont le langage et le format seraient celui de la chanson, du chant, et de l'action physique (alors donc peut-être qu'on rejoint quand même l'idée de chorégraphie...).
Ceci étant posé (hâtivement posé) - je voudrais un peu te parler de ce que je ressens par rapport à l'idée d'écrire des chansons. Dans les textes que j'écris pour le théâtre, je navigue toujours à travers ce que les formes d'oralité provoque dès lors que tu les fixent sur la page. Fixer l'oralité sur la page se serait déjà un peu composer de la musique. Quand on parle on n'écrit pas, on fait du son avec des codes. Quand j'écris j'essaie de traduire ces sons, ces codes en matière textuelle. Ce qui donne au texte certaines lacunes, lacunes que je considèrent comme l'espace de possible du vivant, de la scène, de l'acteur. Ce qui bouclerait la boucle puisqu'on revient avec la scène au principe même d'oralité. Dans mon dernier texte, "Léonie K." j'ai tenté d'écrire des chansons - vraiment dans le format "type" des chansons. Mais je crois que ce que j'écris, sans passer par le format chanson est déjà très musical. Il n'empêche qu'écrire des chansons est encore une autre démarche. Le format de la chanson, et le format chanté, m'évoque quelque chose de très particulier. Si je chantais dans la vie, je le ferais précisément sur des choses qui sont de l'ordre de l'indicible, du sous-terrain. Voilà, c'est ça, il y a dans le fait de chanter quelque chose de permissif, qui fait émerger de l'indicible, du trop plein. Je ressens ça avec l'opéra par exemple. ça atteint un niveau de puissance de la "communication" qui dépasse l'entendement, qui dépasse le principe même de communication verbale. Il y a du non-verbal dans la chanson...et ça me parle beaucoup par rapport à ce projet de comédie musicale avec des gens qui ont un quotidien social dans ce quartier (je parle des employées des grandes entreprises du 13ème avec lesquels on va bosser). Dans ce paysage-là, du travail, de l'employé, du parcours quotidien dans un paysage, de la fonction sociale, de la hiérarchie, de la crise économique, l'émergence du chant me semble permettre une prise de position forte sur le réel. Comme si la parole avait été usée, épuisée et que la chanson pouvait faire émerger ce qui en sous-terrain parcoure les gens dans leur fonction. En résumé la place de l'intime et des divagations possibles (en terme d'utopie, d'imaginaire, de fiction, de prise de pouvoir, de transformation, d'inversion).
Alors, la légèreté qu'induit à priori la chanson, me renvoie en fait à la gravité de son apparition dans le quotidien. Il y a quand même une sacrée étrangeté dans ça, quelque chose de totalement déstabilisant, de "dégénéré" (c'est comme ça que les nazis qualifiaient la musique de Kurt Weill), un ébranlement un peu. ça fait trembler les codes, les constructions, les hiérarchies, etc. Et ça me parle d'une sorte de formule pop-légèreté-gravité-grâce....ça me parle d'une sorte de tremblement de terre, de fin du monde (Voir Les derniers jours du monde des frères Larrieux)
Pour ce qui est du processus que nous allons mettre en place, comme on se l'ai déjà dit, le principe de déplacement dans le quartier, de visite, de repérage devrait nous permettre de faire émerger ce sous-terrain, ce qui se trame en fond, dans les zones pas franches (les discours intérieurs, les projections, les fantasmes, les envies de crime, les amoureux silencieux, etc. etc.)
N'est-ce pas ce sous-terrain que l'on pourrait appeler notre fiction? N'est-ce pas de ces zones si peu identifiables que nous devrions aller chercher et les traduire par le mode qui lui correspond le mieux, le chant?
on continue à discuter
des baisers
MontagneMolle

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