Se Souvenir de Violetta - création prévue pour Février 2011 - Comédie de Valence
- "Ils étaient là comme dans une cage dont la porte eût été grande ouverte, sans qu'ils puissent s'en évader. Rien n'avait plus d'importance en dehors de cette cage, parce qu'il n'existait plus rien d'autre. Ils demeuraient dans cette cage, étrangers à tout ce qui n'était pas elle, sans même l'ombre d'un désir de tout ce qui était au delà des barreaux. Il eût été anormal, impossible même de s'évader vers quelque chose qui n'avait ni réalité ni importance. Absolument impossible. Car à l'intérieur de cette cage où ils étaient nés et où ils mourraient, le seul climat d'expérience tolérable était le réel, qui était simplement un instinct irréversible de faire en sorte que les choses eussent de l'importance. Ce n'est que si les choses avaient quelque importance que l'on pouvait respirer, et souffrir. Il semblait qu'il y eût un accord entre eux et les morts silencieux pour qu'il en fût ainsi, car l'habitude de faire en sorte que les choses eussent de l'importance était devenue un instinct humain et, aurait-on dit, éternel. La vie était ce qui avait de l'importance, et le réel faisait partie de l'instinct qui donnait à la vie un peu de sens. L'instinct n'envisageait pas ce qui pouvait exister au-delà du réel parce qu'au-delà il n' y avait rien. Rien qui eût de l'importance. La porte restait ouverte et la cage devenait plus douloureuse dans sa réalité qui importait pour d'innombrables raisons et d'innombrables manières."
-"Et l'amour à son tour engrosse l'illusion d'unité. Et ce ne sont la plupart du temps qu'avortements et foutaises. La peur de refaire à deux ou à dix un chemin trop pareil et trop connu, celui de l'esseulement, menace les symphonies amoureuses de son accord glacé. Ce n'est pas l'immensité du désir insatisfait qui désespère mais la passion naissante confrontée à son vide. Le désir inextinguible de connaître passionnément tant de filles charmantes naît dans l'angoisse et dans la peur d'aimer, tant l'on craint de ne se libérer jamais des rencontres d'objets. L'aube où se dénouent les étreintes est pareille à l'aube où meurent les révolutionnaires sans révolution. L'isolement à deux ne résiste pas à l'isolement de tous. Le plaisir se rompt prématurément, les amants se retrouvent nus dans le monde, leurs gestes devenus soudain ridicules et sans force. Il n'y a pas d'amour possible dans un monde malheureux. La barque de l'amour se brise contre la vie courante. Es-tu prêt, afin que jamais ton désir ne se brise, es-tu prêt à briser les récifs du vieux monde? Il manque aux amants d'aimer leur plaisir avec plus de conséquence et de poésie. Nous voici quelques-uns épris du plaisir d'aimer sans réserve, assez passionnément pour offrir à l'amour le lit somptueux d'une révolution."
Raoul Vaneigem, Traité de savoir-vivre à l'usage des jeunes générations, III, L'isolement, p.49-52
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