vendredi 16 novembre 2012

Editorialiser la Ville

Première étape de résidence à Poitiers avec le collectif Kom.Post en vue d'une création sur l'année 2013: Collecter et éditorialiser la ville grâce à différents dispositifs: une sonosphère / une revue contributive en ligne / une création de fanzines / des ateliers / des fabriques du commun / des performances / des séances d'écoute collective / des créations sonores et plastiques singulières... 
Workshop avec les étudiants de l'EESI (Ecole Européenne Supérieure de l'Image) de Poitiers. 


Carte sensible et collaborative de la ville de Poitiers

(c) Celine Pévrier

Premier jour - présentation du projet Kom-Post

(c) Sylvia Fredriksson

mardi 30 octobre 2012

Figure indomptée 1.

Figure indomptée 1. Le retour (de Grèce)

 

Flux Permanence Archive - Mes figures indomptées

Difficile d'être à la hauteur de l'exigence de permanence...L'archive au présent des projets en cours, des pensées-phares guidant les pas qui se dessinent en direct et l'empreinte de ces pas qui n'est déjà plus mais qu'il faut savoir écrire, pourtant. Parvenir à garder ce cap de l'archivage au présent dans ce qu'il a de précieux pour les processus à l’œuvre, d'utile et de nécessaire à la pratique, celle de l'écriture, de la pensée et de sa diffusion.
J'ai identifié une pratique à laquelle j'ai recours depuis de nombreuses années, sous forme de cartes, je dessine des figures "idéales" de résolution immédiate, des cartes mentales d'enquêteur, des points reliés pas des segments sans fin qui me permettent de cartographier les éléments entre eux, tenter de décoder les maillages conscients ou pas, à l'image du griffonnage sur les blocs de papier qui se dessinent au fil d'une conversation téléphonique et qui sans trop le vouloir, sans trop le savoir, proposent des résolutions,  d'un instant, d'un paysage, d'un projet, d'un état, d'une écriture en cours.....
J'appelle ça mes figures indomptées


lundi 1 octobre 2012

Le mouvement du flotteur

Athènes. Chaleur magnifique coulée dans le corps jusque dans mes veines, des tempes, du front, du coeur et de la cage thoracique, qui se gonfle régulièrement, la métrique d'un long soupir,  localisation intérieure du pays extérieur.
Dimitriadis écrit "je meurs comme un pays", géolocalisation organique d'une carte de l'asphyxie. Ce matin, j'ai envie d'écrire que je né comme un continent, peut-être parce que les pays meurent et continueront encore jusqu'à ce que nous puissions renaître dans nos propres corps, que l'échelle sensible reprenne son poids. L'asphyxie collective, politique et sociale est immense, mais nous vivons peut-être au plus près que jamais dans le poids de nos corps.
L'échelle humaine semble si petite, quasi miniature, c'est peut-être l'échelle de l'humilité qui nous permet de sentir à nouveau, le contours de nos corps, nos poids, nos petites pesanteurs, nous toucher de l'intérieur. Sentir ce flotteur qui remonte à la surface comme après une longue apnée, flotte et se pose lourdement, et certes faiblement, oui, certes, envoie un signal. Le signal est faible mais c'est précisément ce qui le rend visible. C'est comme le néon de la cuisine qui vacille, en fin de course, on peut y voir scintiller les milliers de particules qui s'agitent à la seconde, on peut sentir la volonté, le mécanisme de la lumière qui lutte pour se maintenir. Ce n'est plus de la lumière qui éclaire, qui se fait oublier, c'est une lumière qui renseigne, qui rend lucide, qui parle de la lumière elle-même.
C'est le mouvement du flotteur, contradictoire, équilibre des forces, quand le naufrage du corps social fait remonter à la surface le flotteur du corps sensible.

dimanche 30 septembre 2012

La marche vers le front

- " Nuit après nuit nous marchions sans arrêt, l'un suivant l'autre, comme font les aveugles"

- "Douze jours déjà s'étaient écoulés depuis que nous étions revenus à l'arrière dans les villages scruter au miroir, des heures durant, les contours de nos faces. Et juste comme nos yeux venaient de se refaire aux vieux traits familiers, et nous timidement, de redonner du sens à un dessus de lèvre nu ou à une joue rassasiée de sommeil, voilà qu'à nouveau la deuxième nuit en quelque sorte nous avions changé, la troisième encore plus, celle d'après la quatrième, nous n'étions plus les mêmes".

- " Enfin, à un moment, apparurent au loin les panaches de fumée qui s'élevaient par-ci par-là et les premières rougeurs à l'horizon, des fusées éclairantes". 

Odysséas Elytis, La marche vers le front.

jeudi 27 septembre 2012

Silence

La fatigue gagne et le silence devient nécessaire. Tant de rencontres, d'informations, de kilomètres parcourus à travers la ville, tant de détails imprimés malgré moi et je sens aujourd'hui la nécessité de les laisser apparaître, se révéler. Le voyage a son poids, son rythme, il faut accepter cela. Accepter que dans la démarche de rencontre il n'y pas que des choses à garder, qu'il est nécessaire de prendre du recul, de trier, de n'être le porte parole de personne, accepter que le rythme propre soit nécessaire pour pouvoir délibérément écrire. 

(panneau en papier, flottant dans le jardin du musée archéologique de Thessalonique)
-----------------------------------------------------------

Il y a en Grèce le socle de la famille, si fondamental, si puissant et l'effet de la crise semble avoir encore plus accentué cette institution privée, cette économie.
Lorsque j'ai commencé à penser Point Limite Zéro je m'interrogeais sur la dette de façon intime, à l'endroit où elle pose la question de l'héritage, de l'héritier, de la génération, du passage. J'ai alors commencé à m'interroger sur Electre, tenté de découdre le personnage, établit des ponts entre la fin d'un cycle politique contemporain et le moment d'avant le dénouement des Atrides. Juste avant le crime d'Oreste, Electre prendrait son état d'attente en main, l'attente du dénouement elle le désamorce en convoquant avant le crime, le droit, une justice extérieure, une présentation.
Electre, dans ce que je cherchais, n'avait qu'une seule obsession, qu'un seul mot d'ordre: IL FAUT SE PRESENTER - VOUS ALLEZ TOUS VOUS PRESENTER! Elle implorait un tribunal avant le passage à l'acte, elle implorait le droit, un droit nouveau, elle implorait la fin d'un cycle basé sur la non répétition. Elle faisait une prise d'otage, toute la petite famille coincée à l'arrière de la voiture et elle au volant. Encore une fois c'est la route qui était le segment du texte, pas le départ, pas l'arrivée, juste le segment, le temps d'avant le dénouement, le temps où tout se joue. Point Limite Zéro a évolué, j'ai construit un récit sur un mouvement plus collectif, ce groupe qui marche vers la Grèce, comme un mouvement plus inconscient de dénouement, mais je sais qu'Electre est toujours présente, quelque part, ce point de départ je sens que je le retrouve.
Peut-être parce que je suis ici, en Grèce, au cœur d'un système social familial, dont tout le monde me parle comme une caractéristique singulière, propre aux grecs, on me dit qu'il amortit la chute, semble l'estomper, permet d'y survivre.
Je reconnais ce principe de solidarité avec beaucoup d'admiration mais je continue de me demander si cette crise n'est pourtant pas celle d'une séparation nécessaire?

 (bout de mosaïque, représentation de Dionysos, musée archéologique de Thessalonique)

----------------------------------------------------------------
Comment l'économie jusque dans nos corps se met en crise?



----------------------------------------------------------------

Au beau milieu de la nuit, quelqu'un dira: JE SUIS UNE MAJORITÉ

----------------------------------------------------------------

Demain je traverse la Grèce en train pour me rendre à nouveau à Athènes

----------------------------------------------------------------

mercredi 26 septembre 2012

T.h.e.s.s.a.l.o.n.i.q.u.e

De la prononciation, dans ma bouche, je pourrais le répéter toute la journée, rythmant mes pas sur le nom de cette ville qui sonne comme un port de Byzance, une réjouissante décadence, une femme à qui l'on porte au cou, pour la célébrer, un golf de méditerranée.

Depuis quelques jours je cours après la possibilité de m’asseoir et de rendre compte, mais le rythme de l'immersion a gagné le terrain, dans le corps, un relâchement, un abandon, enfin.

A la différence d'Athènes il y a un soulagement à Thessalonique dans le monumental. Étrangement je ne cherche pas ici le réconfort des anciens, de la pierre ou du marbre, mais j'ai le sentiment de sentir celui de la jeunesse, peut-être outrageusement festive, décalée, en forme d'orientale décomplexée et profondément mélancolique. 


Lundi j'étais invitée à l'émission de la radio locale (FM 100.6). Perchée sur la terrasse du théâtre national de la ville, alors occupé et fermé parce que les salariés ne sont pas payés depuis des mois, j'ai pour la première fois surplombé la ville. Dans le studio, Alexandros (le chargé d'émission et un de mes anges gardiens ici) traduisait, pas à pas, groupes de phrases après groupes de phrases ces paroles que j'envoyais dans le micro pour parler de Point Limite Zéro. Cette traduction m'a tellement émue, tout à coup l'impression de sentir la force de la langue dans ce qu'elle transmet. Je me foutais de savoir si ce que je disais était correctement traduit ou pas, à la lettre comme on dit, ce qui m'a émue ça a été de sentir la force de la traduction comme un lien direct, un contact tangible avec la ville, avec les grecs. Nous pouvions communiquer et nous communiquons d'ailleurs. Malgré mon anglais basique et les quelques mots de grec que j'ajoute chaque jour, consciencieusement, à mon vocabulaire, le petit miracle de la langue s'exerce. Il faut chercher, creuser en soi, simplifier ou se laisser surprendre par ce qui sort de soi dans une langue étrangère. C'est toute la dialectique de Point Limite Zéro, c'est cette citation d'Umberto Ecco que je citais déjà il y a quelques temps et qui aujourd'hui prend tout son sens:

"LA LANGUE DE L'EUROPE C'EST LA TRADUCTION"


dimanche 23 septembre 2012

Je suis en Grèce

Je suis arrivée à Athènes il y a 4 jours et me voilà maintenant à Thessalonique, la Grèce du nord, l'orientale, la byzantine, une autre inclinaison de l'Europe. A mon arrivée je me suis dirigée vers la côte, comme pour voir l'horizon, j'y ai aperçu la mer derrière des grilles, comme si le regard était en travaux, en chantier.

Ce que je vis ici, dans cette intuition qui m'a mené jusque là, c'est un peu comme saisir le vertige, en soi, du conflit entre l'héritage et la fin d'un cycle, les fondements de la démocratie et sa lente destruction sourde, le théâtre des amphithéâtres en ruine et le post dramatique déclinant où comment les récits s'écrivent, comment la représentation se redéfinit à chaque fois, comment en fonction des contextes, des crises, des états, on se dit tiens et si on faisait du théâtre, et si on repensait la représentation, et si on interrogeait nos représentants et si on se représentait nous-mêmes et si on cherchait une forme nouvelle à la mise en forme de soi et du monde?

C'est bouillant. Voilà ce que je peux dire, avec les quelques pas de recul, au millimètre, que je suis en mesure de faire aujourd'hui, pour dire ce que je vois, ce que je sens. C'est bouillant, bruyant, brouillon. C'est vivant, variable, vallonné. C'est l'Europe que j'ai voulu voir et sentir, c'est l'état de l'endettement, ce sont les points d'horizons, les limites, les possibles, les inventions à l’œuvre, les aveuglements, les profondes fatigues et la légèreté de l'inconscience. C'est paradoxalement festif, hystérique, chahuté. C'est le point limite, mélancolique, entre l'exaltation et la dépression du monde. Et tout cela ne m'est pas étranger, ce sentiment est familier, partagé, je suis européenne, je suis endettée, je suis mélancolique, je suis grecque, je ne regarde pas du dessus, je sens du dedans le vertige de la familiarité. La grèce me tend un miroir, nous pouvons tous nous y voir. La main est tendue. De ce miroir, comme dans l'invention de la perspective, je perce un trou, tentative de la représentation.

C'est une marche dans l'écriture. C'est un texte comme un leitmotiv, Point Limite Zéro, qui guide mes pas, obstinément, avec ce postulat d'un groupe qui marche vers Athènes, comme un deuil à faire. Qui est ce groupe? Que sont ces pas? Vers où vont-ils? Qu'est-ce qu'il y aurait à inventer sur la route pour pouvoir essayer, à l'arrivée de formuler une nouvelle décision? C'est une recherche de véhicule, dans le paysage, dans la langue, pour pouvoir enfin se déplacer.

Je sens la justesse de cette marche vers la Grèce et le fait que je sois moi-même en train de l'expérimenter. Je sens la justesse de cette route qui se dessine, de ces paroles en marche, de cette volonté de se rendre, au sens de se livrer, de se présenter, avec toutes les résistances que cela génère en chacun. Ce groupe qui marche n'est pas un groupe au sens du mot d'ordre ou de la décision, c'est comme un mouvement nécessaire qui nous mettrait en marche, comme s'il y avait un appel inconscient pour se mettre en marche, pour se rendre vers une nouvelle décision collective. Mais la nature de cette décision je ne la connais pas. Le texte sera la mise en jeu de ces résistances intimes qui se dirigent vers un point, dans un monde qui semble se décider et se dessiner sans nous.

Place Syntagma, Athènes, Grève des transports

mercredi 15 août 2012

Remplissage 2.: Le silence, une fiction


 
Vladimir Arkhipov


Michel Blazy, Daniel Gustav Cramer
 
Vue de l'exposition, Le silence une fiction, Villa Paloma, Monaco

Remplissage du vide

" Pour qu'un peuple soit créatif, il doit vivre l'absence de celui qu'on lui a fait croire qu'il était. Et il faut créer les moyens avec lesquels il couvrira l'absence. C'est ainsi qu'on crée les civilisations. Avec le remplissage du vide. Remplissage irréalisable. Mais c'est l'irréalisable qui constitue l'effort réel. Le remplissage irréalisable du vide et de l'absence. Tout autour de nous crie que ce qu'on a, on l'a indubitablement, que ce qu'on est, on l'est indubitablement. La définition du pittoresque et de l'intelligence bornée. Nous n'avons rien et nous ne sommes rien. Dans ce rien, l'annonce la plus réjouissante est prononcée, l'unique réelle annonciation. Que dit-elle? Elle dit: voilà le vrai départ, en route, tout est possible, dépiégez-vous, désengagez-vous, osez le dégagement des mensonges et des masques, n'ayez pas peur, il y a aussi d'autres personnes et d'autres narrations, passez des stéréotypes à la boue brute, du regard glacial au regard qui plonge dans l'abîme. Formez le feu. Terrible exigence. Elle demande de la créativité. Du risque. De l'audace. Elle demande de la vie.". Nous et les grecs, Dimitris Dimitriadis

dimanche 8 juillet 2012

Lignes d'horizon 2.

« La ligne, semble-t-il, s’est morcelée en fragments. Si la ligne droite est une icône de la modernité, alors la ligne fragmentée s’impose comme une icône de la postmodernité. Elle est tout sauf un retour à la ligne sinueuse du trajet. La où cette dernière suit son cours en passant d’un lieu à un autre, la ligne postmoderne fragmentée est une ligne qui traverse : non pas en suivant des étapes ou des destinations, mais en allant d’un point de rupture à un autre. ». Une brève histoire des Lignes, Tim Ingold


dimanche 24 juin 2012

Lignes d'horizon

Hamish Fulton, Mercantour, 2011


Hamish Fulton, Alps Horizon... 1989
Montes de Toledo... 1990

Hamish Fulton, Mountain Skyline
1982-89

Découvert dans l'exposition "Le mont Fuji n'existe pas" au Plateau / Frac Ile de France

dimanche 17 juin 2012

Quelqu'un dira

Points par points, pas à pas ou pas après pas, l'ossature du texte se dessine, ne tient pas encore debout, apprend à marcher parce qu'il n'est question que de cela, de la marche, un texte de marche en marche et sur la marche, une marche des langues étrangères, marche des perdants, des espérants, marche de marcheurs suspects en route vers Athènes, marche d'européens du 21ème siècle, marche d'endettés, d'endeuillés qui doivent mettre en pas après l'autre pour sentir que ça avance, et le bien que ça fait de percer l'horizon, de fredonner parce que ça va avec marcher, de laisser défiler, les mots, les pensées, les souvenirs obscurs, voir avancer les arbres, les oliviers, laisser derrière le paysage défiler sans volonté, si ce n'est avancer encore avancer pas à pas vers la colline, là-haut le sommet. Le texte est fait de cela des mots fredonnés, scandés sur le rythme des pas, comme les marches d'un escalier, celui du corps qui roule, d'une route cabossée, le texte chahuté par l'état du sol et des pieds, la langue en marche parfois essoufflée, il y a des feux à faire pour se réchauffer, des forêts à traverser, des explications à donner, des traductions à opérer pour bien se comprendre et la maison qu'on a laissé derrière, la famille abandonnée, les loyers impayés, le reste est derrière et le reste est devant, les reste est à venir, le reste est à conquérir, et la page ne peut pas être blanche elle doit avant même de commencer être salie, balisée, comme remuer la terre pour la faire respirer, elle doit être goudronnée ou parsemée de trous, de cailloux à éviter. Comment noircir la page avant de commencer, c'est cela les os du texte qui apparaissent, ça commencerait comme ça, une suite de "quelqu'un dira", au futur du présent, à la mémoire du futur, la grammaire de la marche serait peut-être le présent du futur.

Voilà quelques os à agencer:

- Ça commencerait comme ça. Un groupe marche vers Athènes. On ne sait pas combien ils sont, on ne sait pas bien pourquoi ils marchent.

- A un moment ils traverseront une forêt. ils sentiront d’abord des cailloux, des pierres, de la mousse humide - ils feront un feu. Mais il faudra brûler quelque chose pour que ça prenne. Alors quelqu’un dira : il faut brûler quelque chose pour que ça prenne et tout le monde se regardera.
 
 - J’ai écouté Speedway d’Alan Vega et j’ai pensé que quelqu’un pouvait marcher tout en tapant dans ses mains, comme pour rythmer les pas, comme un métronome qui permettra à chacun de tenir la route, de ne pas perdre le rythme.

- Un jour j’ai pleuré à la lecture de cette phrase : «  Dans un temps où, bientôt, nous devrons écrire sans l’aide des voix des survivants, à partir du trou du 20ème siècle » (Camille de Toledo in Le Hêtre et le bouleau).

- Plus tard sur la route quelqu’un dira, mais ça n’aura pas d’écho, quelqu’un dira : je sais que je ne vivrais pas aussi bien que mes parents. Je sais que je vivrais sur leur patrimoine. Je sais que mes parents me laisseront suffisamment pour m’en sortir.

- Peut-être visiteront-ils des cimetières. Peut-être voleront-ils toutes les olives sur tous les oliviers. Peut-être marcheront-ils de dos. Peut-être qu’ils marcheront seulement pour sentir que ça avance. Et tout le monde aura ses hypothèses. Les journalistes tv, l’envoyée spéciale sur place, les auditeurs de la radio nationale, les habitants, spectateurs de ce groupe de marcheurs. A la longue ils deviendront une actualité à décoder.

- Je me demande si Electre et d’Oreste Ont eu des enfants ? Je me dis que l’Orestie c’est comme un désenvoutement.

- Plus tard sur la route, quelqu’un dira, et tout le monde se retournera, quelqu’un dira : à la longue ça commence à bien faire le plus jamais ça. La seconde guerre mondiale on doit l’enterrer.

- Quelqu’un dira, mais personne ne l’arrêtera, quelqu’un dira : j’ai la sensation d’avoir volé quelqu’un, mais je ne sais pas qui.

- Plus tard, quelqu’un dira, mais personne ne lui répondra, quelqu’un dira : mon fantôme à la forme d’un pont de pierre. Il ne s’avance pas vers moi, c’est moi qui m’avance vers lui.

- Quelqu’un dira, mais les autres continueront de marcher comme si de rien n’était.  Quelqu’un dira : Quand les aînés commencent à perdre la tête les vérités peuvent sortir. Les déficiences des vieux ne sont peut-être que des passages aux aveux.

- Sur une pancarte le premier on verra écrit une citation: La langue de l’Europe c’est la traduction. Quelqu’un aura ajouté au crayon à papier un point d’exclamation retourné. Peut-être qu’il s’agit d’un espagnol ?

- Il faut que je pense à retrouver ce bout du mur de Berlin qu’un ami de mes parents nous avait ramené dans un petit coffret, en 1989.

- A  la tombée de la nuit quelqu’un montera sur une colline et s’adressera aux autres mais dans une langue incompréhensible, on entendra une voix crier par-dessus lui: mais que quelqu’un traduise bordel ! Alors une femme s’avancera et dira : je crois qu’il a voulu dire c’est que nous sommes tous attendus au banquet.

- Plus tard, une femme s’allongera sur la route chaude et ne voudra plus bouger. Au bout de plusieurs heures elle finira par se lever et tout le monde reprendra la marche.

- Le texte sera entrecoupé de repères géographiques, du flux de la radio et de reprises de chansons. Quelqu’un reprendra des chansons. Ce sera un emprunteur. Il ne payera aucuns droits d’auteurs.

- Plus tard une vieille femme s’arrêtera net dans la marche, elle se retournera vers les autres et elle dira, je possède un lingot d’or.

- Quelqu’un montera sur le dos d’un autre, et dira : ce n’est pas la même chose de ne plus avoir d’air que de retenir sa respiration !

- La radio sera constamment allumée. Des auditeurs appelleront pour guider les marcheurs pour s’adresser à eux, directement. On entendra les hélicoptères. Ils seront suspects. Tout simplement parce qu’ils marchent. Et la radio sera là pour les guider. 

- Extrait de Vanishing Point de Richard Sarafian


lundi 28 mai 2012

dimanche 25 mars 2012

Donnez-nous des procès!

Dis-le avec ta main, la droite, la moite, celle que tu poseras devant sur à côté en jurant  la vérité ou en croisant les doigts de l'autre - la main -  planquée derrière ton dos la gauche la main qui agit derrière - qui agite les fantômes de l'acte. Donnez-nous des procès! Ton corps encerclé qui respires dans - ta cage thoracique et les mouvements de ta langue dans l'oreille, notre oreille - Nous - qui? Nous - qui? Donnez-nous des procès ! Des têtes des visages décevants où la marque n'est pas visible - Donnez-nous des procès ! De la normalité détenue dans le monstrueux - du corps de la chair du sang qui coule dans les veines des paupières qui se ferment toutes les secondes - des mécanismes anatomiques qui fonctionnent comme le mien - Donnez-nous des procès ! Du vivant à trancher du discours - il faut se présenter. Ton corps criblé par les balles de tes propres mots - ceux que l'on ne parviendra pas à formuler - ceux que tous nous essaierons de prononcer pour toi -  nous te voulons criblé mais de tes propres mots - les trous les impacts que la langue creuse  dans nos chairs - pour reconnaître en toi notre folie passagère - désenvoûter les couloirs hantés de notre conscience - ton corps criblé de tes actes et de nos conséquences - nous ne porterons pas en plus ton deuil - nous ne fleurirons pas la tombe du monstre - le monstre à un visage - et je m'y reconnais. Donnez-nous des procès! Que chacun se présente la chair et les os devant au premier rang dans leur présence de chair et d'os en mouvement -  que ta finitude n'appartienne qu'à ta chair - qu'on fabrique des vivants - dressons l'acte sur ses pieds - notre terrorisme c’est celui du vivant du corps criblé de mots - de la chair et de la ressemblance - Donnez-nous des procès! Le droit de regarder  - dans les yeux - dans le corps - dans le mouvement de la bouche l'intérieur la cave et la cage thoracique carcérale - le temps de - laisser infuser - Donnez-nous des procès! Histoire de faire histoire - histoire de négocier - de désenvoûter - Donnez-nous des procès! De l'innommable de l'impasse de dire avec nos langues - reconnaissons l'impasse l'aveu de la raison - la société civile - crottons nos talons aux cendres de tes actes - Donnez-nous des procès! Du visible de l'indicible - reconnaissons le manque - les manques les carences reconnaissons la faim la famine qui se loge dans les cuisines des chefs l’abondance et le dégeuli – dégueulons n’ayons pas peur de vomir ça n’a jamais tué personne représentons la bête une raie de côté un polo de grande marque une vaine normalité  - donnez-nous des têtes attachées à leur corps debout sur leurs pieds le cycle de la digestion le sommeil permet-nous de dormir pendant que tu parles de faire des rêves l'inconscient à besoin de fonctionner - ne coupons pas le robinet Donnez-nous des procès! Notre terrorisme trancher dans le vivant coûte que coûte - n'ayons pas peur de tes mots qui ne sortiront pas qui auront les échos ou pas que ça résonne ou que ça ne résonne pas- il faut te démasquer sortir du train fantôme allumer la lumière découvrir le visage et la beauté peut-être encore irriguée par le sang qui coule mais ce sang ce sera celui de tes veines - malgré toi de ton humanité mécanique anatomique malgré toi une histoire de l'espèce commune - ne hiérarchisons pas les corps les monstres les visages - ton visage et tes mains tes ongles qui poussent ton corps que tu continues de nourrir parce que tu dois parler te présenter - tes nuits et le sommeil qui t'assaille - tu vas bien finir par dormir – nous t’obligerons à dormir à faire des rêves – tu dois nous alimenter – Donnez-nous des procès ! De l’image directe tu ne nous rendra pas superstitieux tu nous rendras humain – Donnez-nous des procès des visages des malentendus des fautes de français de la grammaire des accents de la tonicité des pour des contres des aberrations des récupérations des inventions pour combler – Donnez-nous des procès pour nous - te - nous – te - reconnaître.

samedi 17 mars 2012

Check Point Charlie



Dernière référence au "Hêtre et le Bouleau" de Camille de Toledo. Après je quitte, j'abandonne le livre, je ponctue ma lecture interminable et répétée sur cette archive de Rostropovitch jouant les Suites de Bach devant (j'allais écrire sous) le mur de Berlin en 1989.

mercredi 7 mars 2012

Tristesse européenne

La lecture de Camille de Toledo "Le Hêtre et le Bouleau" me poursuit depuis des semaines, un livre tombé entre mes mains par le pur hasard de rayonnage d'une bibliothèque alors que - errante - je cherchais des clés pour nourrir Point Limite Zéro. Je ne le quitte pas, comme une accroche qui me rappelle ce que je nomme, ma recherche du point de fuite, mon esquisse de la figure de l'héritier. Le livre retrace  l'histoire de l'Europe du 20ème siècle, par un si fin dosage, entre l'intime historique et son négatif collectif ou peut-être l'inverse, selon les pages, les chapitres, le fantôme de l'un étant l'œuf de la poule de l'autre. Le mendiant de l'un étant le maître de l'autre. On raconte la Constitution de l'Europe du 20ème siècle sur les cendres des crimes passés, comme un pacte du "plus jamais ça" qui nous fige dans la mémoire morbide des spectres du passé, ces cailloux fantômes coincés dans notre chaussure collective, qui empêchent la marche vers le deuil du 20ème siècle.

Tout cela ne fait que me parler des figures d'héritiers que je chercher à nommer,  ceux que je commence à faire émerger dans Point Limite Zero, qui prennent la route, parce que rouler ou marcher n'est peut-être que le seul moyen de sentir que ça avance...ces figures qui prennent la route pour Athènes, hantés par leurs fantômes, portant la lourde dette des ancêtres, visiteurs de cimetières qui ne trouvent pas la valeur du présent de leur propre vie.
Tout cela ne fait que m'évoquer la Grèce, comme une déshéritée de l'Europe, la Grèce, où j'ose croire que se logent les germes d'un horizon nouveau. 

J'ai pleuré à la lecture de cette phrase: 
"[...], Dans un temps où, bientôt, nous devrons écrire sans l'aide des voix des survivants, à partir du trou du 20ème siècle".

Mon corps a frémit depuis la place 82 de la voiture 8 sur le Paris-Nice de 16h49 à la lecture de ce passage: 
"Je pense à ce jour, ce matin, en sortant du cimetière, un autre cimetière plus intime, plus familial, où je venais de laisser le cercueil de ma mère, lorsqu'une amie de la famille, souriante, malicieuse, vint me voir pour me révéler le secret de sa longue expérience de la mort. Elle me dit: "Tu verras, dans quelques temps, ta maman sera là, avec toi. C'est comme mon mari. Pendant plusieurs mois, il n'était plus là. Je n'arrivais plus à l'entendre. Je ne parvenais plus à le voir. Et puis, c'est arrivé comme ça, un jour, je me suis mise à lui parler. J'étais dans les embouteillages, je ne trouvais pas de place pour me garer. Et je lui ai demandé de m'aider. Et sais-tu ce qu'il a fait? Il m'a aidée. Il m'a trouvé une place pour ma voiture!". En entendant cette histoire j'ai ri. Depuis, je ne cesse d'y penser. 

Tandis que je tente de trouver cette voie, cette échappée, tandis que j'essaie de voir comment nous pourrions, collectivement, imaginer une issue hors du socle mélancolique de l'Europe, je me souviens une fois encore de cette histoire, celle qui me fut racontée en sortant du cimetière où je venais d'enterrer ma mère. Je me demande dans quelle mesure nous pourrions attendre de tous ceux dont nous portons la mort, ceux qui sont le gouffre de notre Constitution, qu'ils nous aident à trouver une place pour garer notre voiture...Notre voiture, c'est-à-dire notre véhicule, ce qui nous portera vers l'avenir. 

Voici ma question: comment pouvons-nous penser un passage de la "hantise" conflictuelle, paralysante, conservatrice du XXème siècle au "vertige" du XXI ème siècle (triple vertige qui est celui de l'identité fragmentée, des origines et des lignées artificielles ou bâtardes et de la perception dans la sédimentation des fictions du monde) sans verser dans la nostalgie? Et encore, comment les morts du génocide perpétré contre les juifs d'Europe, nos ancêtres, les morts des nationalismes, nos ancêtres, les morts des régimes communistes, nos ancêtres, les morts de l'esclavagisme, nos ancêtres, pourraient répondre à notre appel afin de libérer une place, devant nous, juste devant, pour que nous puissions imaginer un monde, une u-topie?

lundi 27 février 2012

Tendre courrier

Reçu dans le courrier ce matin
mon coeur est touché
merci E.S!

jeudi 16 février 2012

Tendue vers la Grèce

"[...],Nous écoutons la radio, auditeurs d'un avenir qui se décide sans nous et dont nous avons peur. La hantise a accompli son travail et nous sommes d'un bout à l'autre de l'Europe accablés, incapables de nommer le nom du spectre qui nous paralyse tant nous sommes convaincus que de sa présence en nous, le h de l'être, dépend notre h-umanité. Ainsi, les fantômes ont acquis une place de choix. Ils vivent à l'endroit même de la conscience." Le Hêtre et le Bouleau, Camille de Toledo.

"Une poignée de banques internationales, d'agences d'évaluation, de fonds d'investissement [...] qui revendiquent le pouvoir en Europe et dans le monde et se préparent à abolir les états et la démocratie en utilisant l'arme de la dette". Manolis Glezos (héros de la résistance grecque), Libération du 14/02/12


"L'Europe était un rêve qui s’est effondré rapidement. C’est l’époque des managers. Vous ne voyez donc pas comment les premiers ministres dirigent les pays comme des équipes de football ? […] La situation dans laquelle nous vivons est effroyable. On a lutté pour des choses qui ne se sont pas réalisées. Je suis interloqué par la crise économique de mon pays, je ne vois pas d’issue. J’ai vécu l’occupation allemande et la dictature des colonels, mais avec la crise je ne vois pas le bout du tunnel. Un siècle s’est achevé, rempli d’espoir et d’événements catastrophiques", Theo Angelopoulos

mot d'absence

Il y a des absences si longues qu'elles ne nécessitent même plus de prétextes, rien ne justifie (rien ne s'oppose à la nuit). Fuir pour un temps le postage public, une certaine hantise peut-être de rendre public, qui sait!
Les choses ont avancé depuis ce temps, celles du monde malgré moi, celles qui font que je n'ai pas d'autres choix que de m'y tenir debout, de parler au travers, de m'y déplacer, de baigner dedans, de délaver aussi au contact des couleurs qui dégorgent. Une profonde tristesse liquide, une vision molle du monde durci,  raidi, sévère comme un vieux colonel en manque d'autorité, accroc aux punitions et à donner la récompense. L'exercice du pouvoir n'a plus qu'à se raccrocher à ses menottes de cuir, tellement il est fébrile, l'exercice du pouvoir prend son dernier pied à  nous ligoter. On nous propose l'Europe des pères de familles, autoritaires, la main leste et le verbe haut - retour de l'éducation populaire au martinet...

Mais le travail est là, en cours, à tenir, à boucler. La résidence au Collège Jean Moulin avec les collégiens magnifiques qui me parlent de la peur, leurs peurs, celle des autres, 
et puis boucler la boucle avec Le Manuel du Voyageur Impénitent à Khiasma, fabriquer à partir des expériences menées cette année une archive sensible, consultable, penser les documents pour les rendre publiques. La naissance aussi d'un nouveau projet avec Lorena Dozio et Fernando Cabral "Même si on fait fausse route [Une collection de récits piétons]" qui prendra corps certainement dans les prochains mois...

Enfin, Point Limite Zéro, hanté, obsédé par l'actualité grecque, nouveau chantier d'écriture en cours, de ceux qui hantent, ceux dont on rêve la nuit, qui nous réveillent par des mots qui s'affichent clignotants comme des obsessions du langage et de sa forme. Alors on se réveille, on écrit ce qu'on a lu, on déchiffre les mots qui se sont affichés, on les prends pour des clés. En dehors des rêves il y à l'écriture, la table de travail, les mots des autres (Le Hêtre et le Bouleau de Camille de Toledo, Spectres de Marx de Derrida, Les Héritiers de Pierre Bourdieu, La Route de Cormac Mc Carthy), et la Grèce au loin qui semble de plus en plus esseulée dans une Europe dont je ne sais plus bien si elle gonfle pour mieux s'émanciper ou si elle rétrécit pour mieux s'enfermer, rebâtir des murs, faire réapparaître les frontières, et donner la place aux vieux fantômes, comme une famille qui déshériterait son petit dernier, parce qu'il n'aurait pas su relever le défi d'un héritage trouble. Le petit dernier, annonciateur d'une chute annoncée...