mercredi 7 mars 2012

Tristesse européenne

La lecture de Camille de Toledo "Le Hêtre et le Bouleau" me poursuit depuis des semaines, un livre tombé entre mes mains par le pur hasard de rayonnage d'une bibliothèque alors que - errante - je cherchais des clés pour nourrir Point Limite Zéro. Je ne le quitte pas, comme une accroche qui me rappelle ce que je nomme, ma recherche du point de fuite, mon esquisse de la figure de l'héritier. Le livre retrace  l'histoire de l'Europe du 20ème siècle, par un si fin dosage, entre l'intime historique et son négatif collectif ou peut-être l'inverse, selon les pages, les chapitres, le fantôme de l'un étant l'œuf de la poule de l'autre. Le mendiant de l'un étant le maître de l'autre. On raconte la Constitution de l'Europe du 20ème siècle sur les cendres des crimes passés, comme un pacte du "plus jamais ça" qui nous fige dans la mémoire morbide des spectres du passé, ces cailloux fantômes coincés dans notre chaussure collective, qui empêchent la marche vers le deuil du 20ème siècle.

Tout cela ne fait que me parler des figures d'héritiers que je chercher à nommer,  ceux que je commence à faire émerger dans Point Limite Zero, qui prennent la route, parce que rouler ou marcher n'est peut-être que le seul moyen de sentir que ça avance...ces figures qui prennent la route pour Athènes, hantés par leurs fantômes, portant la lourde dette des ancêtres, visiteurs de cimetières qui ne trouvent pas la valeur du présent de leur propre vie.
Tout cela ne fait que m'évoquer la Grèce, comme une déshéritée de l'Europe, la Grèce, où j'ose croire que se logent les germes d'un horizon nouveau. 

J'ai pleuré à la lecture de cette phrase: 
"[...], Dans un temps où, bientôt, nous devrons écrire sans l'aide des voix des survivants, à partir du trou du 20ème siècle".

Mon corps a frémit depuis la place 82 de la voiture 8 sur le Paris-Nice de 16h49 à la lecture de ce passage: 
"Je pense à ce jour, ce matin, en sortant du cimetière, un autre cimetière plus intime, plus familial, où je venais de laisser le cercueil de ma mère, lorsqu'une amie de la famille, souriante, malicieuse, vint me voir pour me révéler le secret de sa longue expérience de la mort. Elle me dit: "Tu verras, dans quelques temps, ta maman sera là, avec toi. C'est comme mon mari. Pendant plusieurs mois, il n'était plus là. Je n'arrivais plus à l'entendre. Je ne parvenais plus à le voir. Et puis, c'est arrivé comme ça, un jour, je me suis mise à lui parler. J'étais dans les embouteillages, je ne trouvais pas de place pour me garer. Et je lui ai demandé de m'aider. Et sais-tu ce qu'il a fait? Il m'a aidée. Il m'a trouvé une place pour ma voiture!". En entendant cette histoire j'ai ri. Depuis, je ne cesse d'y penser. 

Tandis que je tente de trouver cette voie, cette échappée, tandis que j'essaie de voir comment nous pourrions, collectivement, imaginer une issue hors du socle mélancolique de l'Europe, je me souviens une fois encore de cette histoire, celle qui me fut racontée en sortant du cimetière où je venais d'enterrer ma mère. Je me demande dans quelle mesure nous pourrions attendre de tous ceux dont nous portons la mort, ceux qui sont le gouffre de notre Constitution, qu'ils nous aident à trouver une place pour garer notre voiture...Notre voiture, c'est-à-dire notre véhicule, ce qui nous portera vers l'avenir. 

Voici ma question: comment pouvons-nous penser un passage de la "hantise" conflictuelle, paralysante, conservatrice du XXème siècle au "vertige" du XXI ème siècle (triple vertige qui est celui de l'identité fragmentée, des origines et des lignées artificielles ou bâtardes et de la perception dans la sédimentation des fictions du monde) sans verser dans la nostalgie? Et encore, comment les morts du génocide perpétré contre les juifs d'Europe, nos ancêtres, les morts des nationalismes, nos ancêtres, les morts des régimes communistes, nos ancêtres, les morts de l'esclavagisme, nos ancêtres, pourraient répondre à notre appel afin de libérer une place, devant nous, juste devant, pour que nous puissions imaginer un monde, une u-topie?

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